les sentinelles de Tellus | 2016
Protecteurs de la Biodiversité. (projet en cours) ...
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Les Sentinelles de Tellus par Beatriz Moreno
L’univers de Beatriz Moreno est un univers inquiétant. Dans la vieille demeure de famille, baignée de nuit, sous un ciel sans étoiles, les ancêtres revivent d’une vie inhabituelle. Plus qu’un rêve, il s’agit d’une mise à nu de leur véritable identité. On ne connait jamais personne. Encore moins les morts, ceux de l’an passé comme ceux des siècles désormais évanouis dans la poussière du temps. Un long et impossible frisson nous traverse. Les voilà donc, rendus à leur vérité, arborant enfin leur vrai visage. Il était chat et le voilà chat. Au siècle des siècles. Il était loup. C’est pour l’éternité. Il était papillon. Il le demeurera. Hiératiques, hautains, bardés de fer ou de taffetas, je viens d’eux, de leur dérisoire splendeur.
Rien de monstrueux là pourtant. Inquiétant certes mais d’une beauté qui est celle que confectionnent les songes. Il s’agit de fixer la terreur, de lui donner image. Enfants, nous aimions le diable, les chimères et les croque-mitaines, les bêtes fabuleuses. Enfants, le péché nous hantait. L’art de Beatriz Moreno est très catholique. Au sens d’universel mais aussi au sens où, au moyen d’un travail étonnamment minutieux, revit devant nous la grandeur séculaire de l’Espagne. La photographe artiste se mesure à son passé, à celui des vieux palais et des tours de Tolède. Tout un cortège d’ombres… toute une merveille éteinte. Et eux à face d’autruche ou de lémurien, figés, grotesques... On songe à certaines pages de La route des Flandres par Claude Simon. On songe évidemment à Jérôme Bosch, à Francisco de Goya, à Salvador Dali. Sur le plan photographique, Beatriz Moreno a été marquée par Julia Margaret Cameron, Fox Talbot, Eugène Atget. Entre autres.
Les sentinelles de Tellus montent la garde. Tellus était la divinité romaine de la terre, la Gaia des Grecs. Tellus fit sortir du sol toutes les générations, les reprit ensuite pour en dissoudre les éléments et en tirer des existences nouvelles. Tellus a représenté le monde des morts en compagnie des Mânes. Tellus était associée à l’union maritale et à la procréation. Mort et vie. Là où elles se rencontrent. On invoquait Tellus avant de procéder à la moisson. On nommait la terre et on la touchait avec ses mains. Saint-Augustin l’évoqua, en la divisant entre son principe masculin et son principe féminin.
C’est un message muet qui nous est adressé, une mise en garde, un appel, un commandement. « Linquitur ut merito maternum nomen adepta terra sit, e terra quoniam sunt cuncta creata » écrit Lucrèce dans de Natura Rerum (V, 796). Il reste que c’est à juste titre que la terre a reçu le nom de mère, puisque tout est produit par la terre. » L’invention des sentinelles par Beatriz Moreno et donc le titre qu’elle a choisi s’expliquent ainsi, par la conscience aigüe qu’elle a des dangers qui menacent notre planète. Tellus Mater est celle grâce à qui le cycle vie/mort/renaissance peut exister. Tellus est « l’arbitre souveraine du monde, refuge des morts et régulatrice du renouvellement des existences. » Elle est passeuse de mondes, ordonnatrice des grandes mutations du vivant.
Il y a message mais c’est peut-être aussi à une nouvelle foi que nous appelle Beatriz Moreno, à une nouvelle mouture du culte ancien. Il ne s’agirait alors pas seulement de s’ouvrir à la gravité de la déesse et de ses sentinelles mais de répondre à une invite : celle d’en être, de les rejoindre. Réaliser en nous la fusion de l’animal et de l’humain, pour une nouvelle expérience du monde, pleinement poétique cette fois.
[ Texte: Eric Paul, Nice 2016 ]
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EN
The Sentinels of Tellus by Beatriz Moreno
The universe of Beatriz Moreno is a disturbing one. In the old family home, bathed in the night under a star-less sky, the ancestors live their unusual lives. More than a dream, it is a revelation of their true identity. One never really knows those alive, let alone those long vanished in the dust of time. An indescribable thrill carries us through time and space. There they are, rendered to their truth, finally wearing their real face. This one was a cat for centuries, and here he is. That one a wolf, for eternity. Once a butterfly? He will remain so. Noble, haughty and barded with iron or taffeta, I come from them, from their derisive splendour.
So, nothing monstrous really. Anxious, but nothing except the kind of beauty that can only be made of dreams. It is about capturing horror by giving it an image. Children, we are fascinated by the devil, the chimeras, the crooks and the fabulous beasts. Children, sin haunted us. Beatriz Moreno’s art is transcendent. But her astonishingly meticulous work also revives the secular grandeur of Spain in front of our eyes, through reflection of the past against the old palaces and towers of Toledo - shadows of the marvel from a by-gone era. Those images with an ostrich or lemur face, frozen and grotesque, reminds us of certain passages in The Flanders Road by Claude Simon. We inevitably think of Jerome Bosch, Francisco de Goya and Salvador Dali. In the technical dimension, her photographs show influence by Julia Margaret Cameron, Fox Talbot and Eugene Atget, among others.
The sentinels of Tellus stand guard. Tellus was the deity of the earth for the Romans, just like Gaia for the Greeks. She brought generations out of the soil, and then went on to dissolve the elements and draw out new existence. Presiding over the world of the dead in the company of the Manes while representing marriage and procreation, she is where death and life meet. "Linquitur ut merito maternum nomen adepta terra sit, e terra quoniam sunt cuncta creata", wrote Lucretia in De Natura Rerum (V, 796). We call her Mother Earth. Rightly so - through Tellus Mater the cycle of life, death and rebirth exists.
There is a salient message in “The Sentinels of Tellus”. A warning, a call, a commandment. Tellus is the sovereign arbiter of the world, the refuge of the dead and the governor of the existence renewal. She is the path of the worlds - the instigator of the immense progress of life. The conception of the sentinels and the chosen title by Beatriz Moreno reflect her acute awareness of the dangers that threaten our planet.
Clearly there is a message. But perhaps the artist also calls us to a new faith, or a new form of ancient worship. It is about opening oneself to the power of the Goddess and her sentinels, and responding to an invitation of joining them: a realisation in us the fusion of the animal and the human for a new experience of the world. “The Sentinels of Tellus” by Beatriz Moreno is powerful, personal and utterly poetic.
[ Texte: Eric Paul / Translation: Chao Chen, London 2017 ]